DIPLOMATIE | Négociations américano-qatariennes sur le conflit RDC-Rwanda : Vers une régionalisation des richesses de l’Est congolais ?

DIPLOMATIE | Négociations américano-qatariennes sur le conflit RDC-Rwanda : Vers une régionalisation des richesses de l’Est congolais ?

Alors que les États-Unis et le Qatar multiplient les efforts de médiation pour apaiser les tensions entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda, une nouvelle donne émerge : la possible reconnaissance des ressources minières de l’Est congolais comme un “bien commun régional”, partagé entre les deux pays sous l’égide des investisseurs internationaux. Cette approche, révélée par des sources proches des négociations, marquerait un tournant dans la gestion des conflits liés aux minerais stratégiques, mais soulève d’importantes questions sur la souveraineté congolaise et les motivations réelles des acteurs impliqués.

Un conflit minier déguisé en guerre ethnique

Depuis 2021, l’Est de la RDC est le théâtre d’une guerre larvée opposant l’armée congolaise au groupe rebelle M23, soutenu selon l’ONU et plusieurs enquêtes journalistiques (dont un récent rapport de NBC News) par le Rwanda. Derrière les justifications sécuritaires (la lutte contre les FDLR, rebelles hutus) et ethniques (la protection des Tutsis congolais), se cache une bataille pour le contrôle du coltan, de l’or, du lithium et autres minerais essentiels à la transition énergétique mondiale.

Les révélations de NBC News confirment l’ampleur de l’implication rwandaise : déploiement de soldats sous couverture du M23, bases militaires clandestines, et même l’enterrement discret de centaines de soldats rwandais morts au combat. Malgré les dénials de Kigali, les preuves satellitaires et les témoignages militaires accablent le régime de Paul Kagame.

L’initiative américano-qatarie : Paix ou légalisation d’un statu quo ?

Face à cette crise, Washington et Doha ont engagé des pourparlers visant à :

  1. Geler les hostilités via un cessez-le-feu négocié par Massad Boulos, conseiller de Trump pour l’Afrique.
  2. Créer un cadre de coopération économique pour l’exploitation “équitable” des minerais, avec des investissements américains dans les chaînes d’approvisionnement.

Selon Corina Sanders, sous-secrétaire d’État adjointe américaine, “les entreprises US sont prêtes à investir en RDC et au Rwanda”. Une perspective qui pourrait séduire Kinshasa, en quête de stabilité, et Kigali, désireux de légitimer son accès aux ressources congolaises.

Mais les risques sont multiples :

  • Pour la RDC : Une telle approche entérinerait une forme de copropriété régionale sur des terres congolaises, sapant sa souveraineté. Le ministre de l’Information Patrick Muyaya a d’ailleurs dénoncé la “mauvaise foi” rwandaise.
  • Pour le Rwanda : L’accord pourrait être perçu comme une récompense à son interventionnisme, renforçant les critiques sur l’impunité de Kagame.
  • Pour les populations locales : Aucune garantie n’est offerte quant à la redistribution des bénéfices ou la fin des violences contre les civils (5 millions de déplacés depuis 2021).

Un précédent dangereux ?

Jason Stearns, expert du Congo à l’Université Simon Fraser, met en garde : “Les États-Unis sous-estiment l’investissement du Rwanda dans ce conflit. Il faudra plus que des carottes pour le faire reculer.” En effet, Kigali a profité des précédentes trêves pour déployer des systèmes antiaériens chinois, selon des sources militaires congolaises.

Pire, la proposition de “biens communs” pourrait inspirer d’autres acteurs régionaux (Ouganda, Burundi) à revendiquer des parts du gâteau minier, exacerbant les tensions.

La paix ou le business ?

Si les négociations ouvrent une voie diplomatique, elles risquent de sacraliser une logique de la politique internationale basée sur des considérations de rapports de force et de possibilités concrètes (realpolitik) où les ressources africaines sont monnayées au détriment des droits des populations. Pour éviter un échec, les médiateurs devront :

  • Imposer des mécanismes de transparence sur l’origine des minerais.
  • Garantir la présence d’observateurs indépendants pour surveiller les retraits militaires.
  • Assurer que les revenus miniers bénéficient prioritairement aux communautés locales.

En l’absence de ces garde-fous, l’initiative américano-qatarie pourrait n’être qu’un habillage diplomatique de la poursuite de la guerre par d’autres moyens.

La balle est désormais dans le camp des dirigeants congolais. Accepteront-ils un compromis qui offre la paix au prix d’un partage de leurs richesses ? La réponse pourrait refléter l’équilibre fragile entre pragmatisme économique et souveraineté nationale.

Josué KEFEBE

Please follow and like us:
Pin Share

Rédaction | Excellence info |

Follow by Email
Facebook
X (Twitter)
YouTube