COOPERATIVE | La Chine étend son emprise économique en Afrique avec un nouvel accord commercial

La Chine franchit une nouvelle étape dans son partenariat avec l’Afrique en annonçant un accord commercial historique qui supprimera les droits de douane pour les 53 États africains avec lesquels elle entretient des relations diplomatiques. Cette initiative, dévoilée à l’issue d’une réunion ministérielle à Changsha, vise à uniformiser l’accès au marché chinois, jusqu’ici réservé aux pays les moins avancés (PMA), en l’étendant aux économies africaines à revenu intermédiaire. Une manœuvre perçue comme un renforcement stratégique de l’influence de Pékin sur le continent, mais qui soulève des questions sur ses réelles retombées pour les Africains.
Un nivellement des règles du jeu… à double tranchant
Depuis des années, la Chine offrait déjà un accès préférentiel (sans droits ni quotas) aux PMA africains, comme le Mali ou la Tanzanie. Le nouvel accord élargit ce dispositif à des économies plus diversifiées, telles que l’Afrique du Sud, le Kenya ou le Maroc, leur permettant d’exporter vers la Chine sans barrières tarifaires.
Pour Hannah Ryder, experte en développement africain, cette mesure pourrait rééquilibrer partiellement une balance commerciale très déséquilibrée : en 2024, la Chine affichait un excédent de 62 milliards de dollars avec l’Afrique. « Cela donne une chance aux pays producteurs de biens à valeur ajoutée, comme l’automobile sud-africaine ou les textiles égyptiens, de compenser le déficit », explique-t-elle.
Cependant, l’ouverture totale du marché chinois risque d’accentuer les disparités intra-africaines. Les PMA, moins compétitifs, pourraient être marginalisés face aux géants industriels du continent. Pékin promet des mesures d’accompagnement (formation, marketing), mais leur efficacité reste à prouver.
Stratégie chinoise : générosité ou calcul géopolitique ?
Derrière les discours sur la « coopération gagnant-gagnant », l’objectif chinois est clair : sécuriser les matières premières africaines (minerais, hydrocarbures) et conquérir de nouveaux débouchés pour ses entreprises. En 2024, les investissements chinois en Afrique ont repris vigoureusement, avec 50 milliards de dollars promis sur trois ans lors du sommet de Pékin.
Cet accord s’inscrit dans la continuité de la stratégie des « Nouvelles Routes de la Soie », visant à intégrer l’Afrique dans l’orbite économique chinoise. « La Chine crée une dépendance structurelle : elle finance les infrastructures en échange de contrats juteux pour ses groupes, tout en verrouillant les exportations africaines vers son marché », analyse un diplomate occidental sous couvert d’anonymat.
Quel impact réel pour l’Afrique ?
Si l’initiative est saluée par certains dirigeants africains, des voix critiques rappellent que les accords passés avec Pékin ont souvent profité davantage à la Chine. La question de la transformation locale des matières premières avant exportation clé pour l’industrialisation de l’Afrique n’est pas abordée. Par ailleurs, la suppression des droits de douane pourrait fragiliser les industries naissantes africaines, incapables de rivaliser avec les produits chinois subventionnés.
Ce nouvel accord marque une étape symbolique dans les relations sino-africaines, mais son succès dépendra de la capacité des Africains à négocier des clauses favorables et à diversifier leurs économies. Sans quoi, la « franchise de droits » pourrait simplement renforcer une asymétrie déjà criante.
Josué KEFEBE