SECURITE | Accord RDC-Rwanda : Une paix fragile sans justice pour les victimes ?

Si les avancées diplomatiques sont saluées, les défenseurs des droits humains alertent sur les risques d’impunité et de reprise des violences.
La signature, vendredi, d’un accord de paix entre la République démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda sous l’égide des États-Unis a été saluée comme une avancée majeure pour la stabilité régionale. Pourtant, derrière les déclarations optimistes, des voix s’élèvent pour dénoncer un texte qui occulte la question cruciale de la justice pour les victimes des exactions commises dans l’Est congolais.
L’accord, qualifié d’« historique » par ses promoteurs, repose sur deux piliers : sécuritaire et économique. Il prévoit notamment un cessez-le-feu immédiat, le retrait des soutiens aux groupes armés (dont le M23 et les FDLR), et la création d’un mécanisme conjoint de sécurité dans un délai de 30 jours. Sur le plan économique, les deux pays s’engagent à renforcer leur coopération dans les secteurs minier et énergétique, avec le soutien des États-Unis et du Qatar.
Cependant, pour Lewis Mudge, directeur Afrique centrale à Human Rights Watch (HRW), l’approche transactionnelle de Washington, centrée sur les intérêts économiques, pourrait saper les chances d’une paix durable. « Cet accord sert avant tout les stratégies américaines et rwandaises en matière d’accès aux minerais. Mais sans justice pour les crimes commis, les tensions ressurgiront tôt ou tard », prévient-il.
Les violations des droits humains dans la région sont massives et documentées. Le M23, soutenu par Kigali selon plusieurs rapports onusiens, est accusé de massacres, viols et déplacements forcés. Les forces congolaises et leurs alliés miliciens ne sont pas en reste, avec des exécutions extrajudiciaires et des pillages systématiques.
Pourtant, l’accord ne mentionne aucun mécanisme de reddition des comptes. « C’est une omission grave », déplore Mudge. « L’impunité est le carburant des conflits dans les Grands Lacs. Ignorer cette réalité, c’est prendre le risque de voir cet accord se réduire à une trêve temporaire. »
Les observateurs soulignent que le succès de l’accord dépendra de la pression internationale, notamment américaine. « Sans un suivi rigoureux, les engagements resteront lettre morte », estime un diplomate européen sous couvert d’anonymat.
Certains craignent aussi que les bénéfices économiques promis ne profitent qu’à une élite, sans améliorer le quotidien des populations locales. « Si les minerais congolais financent la reconstruction du Rwanda sans que Kinshasa n’y trouve son compte, les frustrations pourraient attiser de nouveaux cycles de violence », analyse une experte de la région.
Si cet accord marque une rupture après des années de tensions, il ne garantit en rien une paix définitive. Sans justice pour les victimes et sans réformes structurelles, l’Est de la RDC risque de rester une poudrière. Les prochains mois diront si les signataires ont vraiment tiré les leçons des échecs passés.
Josué KEFEBE